jeudi 8 octobre 2009

Slumberland - Paul Beatty

En ces temps de rentrée radiophonique, le vent automnal de septembre fait chuter les feuilles. Les mortes au sol et les manuscrites sur les bureaux surchargés des éditeurs germanopratins. Et malgré la crise et la grippe A, qui semble-t-il épargne plutôt bien nos écrivains, c’est 659 romans qu’il a fallu lire pour se tenir un minimum au courant de se qui se passe. J’aurai donc pu cette semaine vous sortir de ce déluge de pages le nouveau Nothomb, Le voyage d’hiver et épiloguer sur les derniers délires romanesques de l’auteur française, qui a défaut d’être la meilleure, reste la plus régulière (Nothomb, c’est comme le beaujolais, un nouveau par saison). Mais de cet amas grouillant de talent (ou pas), il m’a fallu faire un choix. Ici, c’est comme partout, à la fin, il n’en reste qu’un !

Et c’est donc sur Slumberland que j’ai jeté mon dévolu. Non, Slumberland n’est pas le dernier tube des Black-Eyed Peas sur lequel vous aller shaker vos booty toute la nuit, mais bien le titre, peu évocateur, je vous le concède, du roman de l’auteur afro-kainri Paul Beatty. Et si Slumberland n’est pas le titre d’un album electro-pop-rock-reggae-rap, on reste dans le domaine de la musique puisque Paul Beatty nous emmène sur les traces de Ferguson Sowell alias DJ Darky.

DJ Darky, entouré des membres de son collectif les Beards Scratcheur (les gratteurs de barbes) aux blases prophétiques tels que DJ Uhuru, DJ So So deaf et mon préféré, DJ You Can Call Me Ray or You Can Call Me Jay but Ya Doesn’t Have to Call Me Johnson, DJ Darky donc, autiste audiophonique capable de retenir tout les sons entendus, a trouvé le beat presque parfait. Presque car pour que son rythme fasse danser les mamas, swinguer les guapas et transpirer les gangstas, il ne manque que la petite touche funky de Charles Stones. Sorte de chamman du groove, personnage mythique du free Jazz underground disparu depuis des décennies. L’histoire va prendre un virage décisif lorsque DJ Darky, va recevoir le film d’un type qui encule une poule dont Charles Stones a réalisé la bande-son. Sur l’enveloppe l’adresse d’un bar à Berlin. Ni une ni deux, Darky prend ses cliques et ses claques et s’envole pour Berlin post-chute du mur pour retrouver le Chaman et poser la touche finale à son mix almost perfect.

Beatty écrit ses phrases comme certains posent leurs lyrics. Il manie la plume comme d’autre les platines. A la lecture, on peut entendre les riffs psyché d’Hendrix et les solos de trompettes de Miles Davis. On est trimballé d’un perron de maison georgienne du sud de l’Alabama où raisonne le chant d’un vieux blues man à la voix éraillée au fond d’une cave du Village dont les voûtes suintantes ne peuvent retenir la fragilité sonique d’un pianiste noir, héroïnomane et aveugle, des parking de Harlem sur lequel résonnent les samples du Wu-Tang aux club hard tech du Berlin Ouest des eighties. Non sans une forme d’ironie, Beatty fait s’encastrer la culture noire américaine au pragmatisme germanique, et place la musique au dessus des clivages et des différences. Comme un langage universel.

Avec une dextérité folle et un catalogue de référence a faire palir le who’s who du Jazz et de la black music, Paul Beatty s’évertue à faire entrer la musique dans la littérature à l’instar, par exemple, de Dylan qui a fait l’inverse, injecter de la littérature dans la musique. C’est donc un roman presque sonore que propose l’auteur à travers cette quête du saint Graal musical.

Léonard Billot

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Slumberland
, de Paul Beatty , au Seuil, 326 pages, 21€

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